Bien que cette exquise figurine en ivoire et en or (numéro de catalogue 931.21.1) soit l’un des fleurons des collections du ROM depuis 1931, elle fait également l’objet de controverses passionnées.
Au moment de son acquisition, nous croyions alors qu’il s’agissait d’un rare exemplaire d’acrobate taurine de l’âge du Bronze en Crète, datant d’environ 1600 avant notre ère. C’était, pour le nouveau musée, un coup d’éclat qui nous a valu l’admiration d’experts, notamment sir Arthur Evans, celui qui a mis au jour des vestiges de la civilisation minoenne au début du XXe siècle. Il a surnommé cette statuette « Notre dame des sports ». Cependant, moins de dix ans plus tard, on se posait déjà des questions sur son authenticité. Comme personne ne connaissait sa provenance exacte ni son parcours avant que le Musée ne s’en porte acquéreur, certains spécialistes ont déclaré qu’il s’agissait d’un faux, produit dans la foulée de toutes ces figurines « minoennes » faites de pierre et d’ivoire qui sont apparues dans les premières décennies du XXe siècle. D’autres chercheurs ont défendu son authenticité pour des raisons techniques, la comparant aux fragments en ivoire de l’âge de Bronze qu’on a exhumés en Crète.
La bataille a fait rage parmi les spécialistes des années et des années durant. Le ROM a continué d’exposer la figurine, mais sans lui accorder trop de publicité. Enfin, un article signé K. Lapatin, expert en antiquités chryséléphantines et aujourd’hui conservateur adjoint au Musée J. Paul Getty, est paru en 2001 dans le magazine Archaeology. Repris dans la presse canadienne, il a poussé le Musée à réévaluer la statuette et à réécrire son cartel. Les doutes sur son authenticité y étaient exprimés pour la première fois et les visiteurs étaient invités à former leur propre opinion. On a d’ailleurs décidé de ne pas l’exposer quand on a rouvert la Galerie de l’Égée à l’âge du Bronze en 2005 à la suite de rénovations.
Tout au long de son histoire mouvementée, on a mené peu de recherches sur la statuette, sauf afin de prouver qu’elle datait de l’âge de Bronze. Les travaux actuels cherchent plutôt à raconter son histoire. Les méthodes habituelles d’analyse de l’ivoire ne sont pas envisageables dans ce cas-ci, car il serait impossible, sans détruire la figurine, d’en prélever un échantillon non contaminé par les récents traitements de restauration qu’elle a subis et d’en mesurer la teneur en carbone 14. Toutefois, un examen non destructif de la statuette et une étude approfondie de ses techniques de fabrication pourraient nous en dire long sur son âge et sa construction.
Quel que soit son âge, la statuette nous fera mieux comprendre la civilisation qui l’a créée. Si elle date bel et bien de l’âge du Bronze en Crète, elle témoigne du réseau commercial qui permettait aux Minoéns de se procurer les matières premières dont ils avaient besoin et de l’habileté de leurs artisans. Si, au contraire, elle remonte au tournant du siècle, elle incarne la vogue des objets minoens et les modes qui ont fait fureur en Occident à la suite de la découverte de Cnossos par sir Arthur Evans et son « invention » de la civilisation crétoise. En fait, elle illustre l’influence que peuvent avoir les idées d’un seul expert, Evans en l’occurrence, sur l’étude et la connaissance d’une période de l’histoire.
Pour nous, elle raconte les débuts du ROM, à l’époque où Charles Trick Currelly et son équipe tentaient de faire de leur tout nouveau musée un centre de recherches cruciales et le dépositaire de collections importantes, digne de rivaliser avec les vénérables institutions de l’Amérique et de l’Europe.
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