Belle découverte dans les schistes de Burgess : un ver oscillant sur ses « pattes »

Musée royal de l'Ontario Michael Lee-Chin Crystal. Entrée de la rue Bloor.

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By Jean-Bernard Caron, Conservateur principal de paléontologie des invertébrés, Musée royal de l’Ontario

Le ROM annonce aujourd’hui la découverte d’une espèce étonnante sur le site mondialement connu des schistes de Burgess dans le Parc national Yoho. La créature a été baptisée Ovatiovermis cribratus, ce qui signifie en latin « ver debout se nourrissant de matières en suspension » ‒ allusion à la posture que l’animal devait adopter dans l’eau. Ovatiovermis cribratus est l’une des plus magnifiques créatures issues des schistes de Burgess que j’ai eu le plaisir d’étudier. C’est pour moi un privilège de pouvoir proposer une description de cet animal fantastique, dont un seul exemplaire était conservé jusqu’ici dans nos collections. Les schistes de Burgess sont réputés abriter des créatures étranges, mais cette nouvelle espèce est sans aucun doute l’une des plus bizarres! Notre étude a été publiée dans la revue en libre accès BMC Evolutionary Biology*.

*Référence complète de l’article : Caron, Jean-Bernard et Aria, Cédric, « Cambrian suspension-feeding lobopodians and the early radiation of panarthropods », BMC Evolutionary Biology, le 31 janvier 2017. http://bmcevolbiol.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12862-016-0858-y

Coup d’œil sur la nouvelle espèce

Le spécimen est moins long que mon pouce, même quand ses membres sont complètement déployés. Il mesure en fait 3 cm. Il possède un corps trapu et mou, une tête minuscule et neuf paires de membres. Les deux premières paires, situées juste derrière la tête, sont les plus longues. Elles sont munies de longs « poils » qui leur donnent l’aspect de peignes. Les trois dernières paires, à l’autre extrémité du corps, sont très différentes : elles sont plus robustes, recourbées vers l’intérieur et se terminent par une griffe. La tête possède deux petits yeux et une bouche armée de dents minuscules.

Ovatiovermis cribratus. Holotype (ROM 52707) et reconstitution scientifique par Danielle Dufault.

Vie et habitudes alimentaires

L’animal se servait sans doute de ses trois paires de membres postérieurs pour s’arrimer au fond de la mer et de ses membres supérieurs pour filtrer l’eau et en tirer ses aliments, de la même manière que certains caprellidés de nos jours. En l’absence d’éléments de preuve, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur son régime alimentaire mais, compte tenu de la distance entre les « poils » répartis sur les membres supérieurs (environ 0,3 mm en général), l’animal se nourrissait sans doute de zooplancton ‒ autrement dit, de différentes espèces d’invertébrés au stade larvaire Ovatiovermis cribratus. Animation by Lars Fields.

L’origine des deux spécimens du ROM

Ovatiovermis provient de la carrière Walcott, qui fait partie du gisement des schistes de Burgess situé dans le Parc national Yoho en Colombie-Britannique.

Le site est célèbre pour avoir conservé un riche biote marin datant du Cambrien. La nouvelle espèce de lobopodien fossilisé est extrêmement rare, puisque deux spécimens seulement ont été extraits des schistes de Burgess parmi les quelque 250 000 fossiles connus conservés dans des musées (la plupart au Musée royal de l’Ontario). 

Le premier spécimen, désigné dans notre article comme l’holotype (ou spécimen-type) est le mieux conservé. C’est M. Desmond Collins, mon prédécesseur au ROM, qui l’a recueilli en 1994 en fouillant de nouvelles couches fossilifères sous le plancher d’origine de la carrière Walcott.

Expédition du Musée royal de l’Ontario dans les schistes de Burgess en 1994. Fouilles du plancher d’origine de la carrière Walcott. Photo : Desmond Collins.

J’ai commencé à étudier ce fascinant spécimen il y a quelques années en compagnie de Cédric Aria, coauteur de l’article, dans le cadre de son travail de doctorat à l’Université de Toronto. À l’été 2016, quelques mois seulement après avoir soumis l’article à l’examen, je suis allé effectuer du travail de terrain sur le site des schistes de Burgess. Le personnel de Parcs Canada, gestionnaire du site, m’a fait voir quelques nouveaux fossiles, découverts ces dernières années dans des empilements par des visiteurs ayant participé à des randonnées guidées dans la carrière de Walcott. Je me souviens d’être resté bouche bée en voyant un de ces spécimens, qu’on croyait être une sorte de mâchoire d’arthropode, mais qui intriguait tant le guide géoscientifique responsable de la randonnée que Parcs Canada avait conservé l’objet pour le faire examiner plus tard par un spécialiste comme moi. Je suis heureux que ce spécimen n’ait pas été rejeté au moment de sa découverte! J’ai reconnu tout de suite dans ce fossile la même espèce de créature que nous avions étudiée en détail au cours des dernières années. J’étais naturellement très excité. Après avoir soigneusement préparé et photographié le spécimen, une fois de retour au Musée, nous avons pu l’intégrer à notre article. Ce second spécimen a magnifiquement confirmé notre interprétation de la morphologie de l’animal. D’heureux hasards viennent parfois en aide aux chercheurs de bien étranges façons! Le visiteur qui a trouvé ce spécimen a eu de toute évidence énormément de chance. Quelles sont en effet les possibilités de découvrir un animal aussi rare lors d’une simple randonnée guidée, alors que des équipes de chercheurs n’ont trouvé, au cours des cent dernières années, en fouillant systématiquement la carrière, qu’un seul spécimen? Cette histoire nous rappelle cruellement que nous sommes loin de tout savoir sur les schistes de Burgess et qu’il reste encore de nombreuses découvertes à effectuer.

Photograph of fossils before and after preparation in the lab.

Ce que nous apprend cette nouvelle espèce sur l’évolution des premiers animaux

La nouvelle espèce fait partie d’un groupe disparu d’invertébrés marins au corps mou ‒ les lobopodiens ‒, qui comprend une trentaine d’espèces fossilisées, datant pour la plupart du Cambrien et présents dans de nombreux gisements un peu partout dans le monde. Les lobopodiens auraient donné naissance au plus important groupe d’animaux vivant aujourd’hui ‒ les arthropodes ‒ ainsi qu’à deux plus petits groupes apparentés : les onychophores et les tardigrades. Les lobopodiens ont évolué durant ce qu’on a appelé l’« explosion cambrienne », une période extraordinaire où les premiers animaux reconnaissables sont apparus (ils sont aujourd’hui à l’état de fossiles) et ont rapidement évolué pour devenir tous les grands groupes d’animaux qui vivent encore de nos jours. Comme les restes fossilisés de ces organismes sont rarissimes, l’écologie des lobopodiens et leurs liens avec les animaux contemporains font toujours l’objet de débats et dépendent des nouvelles découvertes de fossiles. Ovatiovermis est seulement la troisième espèce de lobopodien décrite à partir de sa découverte sur un site d’origine des schistes de Burgess. Les deux autres formes (Hallucigenia et Aysheaia) ont été signalées en 1911 par Charles Walcott, qui a découvert les schistes, il y a 106 ans.

Graphic illustration.

TRUE ARTHROPODS VRAIS ARTHROPODES, Anomalocaris RADIODONTA Anomalocaris RADIODONTA, Velvet Worms ONYCHOPHORA Onychophores ONYCHOPHORA, Water bears TARDIGRADA Tardigrades TARDIGRADA, Hallucigenia HALLUCIGENIDS Hallucigenia HALLUCIGENIIDAE, Ovatiovermis LUOLISHANIIDS Ovatiovermis LUOLISHANIIDAE 

Bien que rare, la nouvelle espèce est si bien conservée et la richesse des détails anatomiques est telle dans les spécimens dont nous disposons, que nous avons pu non seulement déduire son écologie, mais aussi réévaluer l’écologie d’un grand nombre de lobopodiens ainsi que les liens qui existent entre eux. Nous avons découvert que, tout comme Ovatiovermis, beaucoup d’autres lobopodiens étaient sans doute des suspensivores qui extrayaient de l’eau de mer des particules de plancton ‒ un modus vivendi qui aurait donc été beaucoup plus répandu au Cambrien que ce qu’on croyait auparavant. Quand nous avons essayé de situer Ovatiovermis et ses formes apparentées sur l’arbre de vie, nous nous sommes rendu compte que les interprétations antérieures des liens entre lobopodiens tenaient mal la route avec nos nouveaux éléments d’information, et que les lobopodiens suspensivores étaient beaucoup plus proches de leurs ancêtres les animaux vermiformes que ne l’avaient suggéré précédemment certains auteurs. Après avoir analysé un important corpus de données physiologiques, nous avons découvert que ces lobopodiens formaient deux groupes distincts, chacun possédant sans doute ses propres stratégies d’alimentation en suspension. Ce sont ces groupes qui ont sans doute donné naissance à d’autres lobopodiens ‒ tradigrades, onychophores et le groupe qui connaîtra le plus de succès : les arthropodes. Tous ces animaux ont peut-être un ancêtre commun qui filtrait l’eau de mer pour en extraire des particules de nourriture.

Un animal tout nu!

Nous savons que certains lobopodiens parmi les plus proches d’Ovatiovermis ont développé au Cambrien, en réaction aux pressions des prédateurs, des défenses comme les épines d’Hallucigenia (voir les recherches les plus récentes sur le blogue du ROM). Notre nouvelle espèce est toutefois « nue », car elle ne possède ni épines ni carapace. Son corps est uniquement formé de tissus mous, ce qui suscite des questions sur la façon dont l’animal pouvait se protéger des grands prédateurs, dont nous savons qu’ils vivaient dans le même milieu. L’Ovatiovermis, qui s’arrimait au fond de l’eau au moyen de ses membres postérieurs et faisait lentement osciller ses membres supérieurs dans l’eau, devait être très vulnérable face à des nageurs agiles tels  Anomalocaris. Si nous n’avons aucune réponse à proposer là-dessus, nous émettons l’hypothèse dans notre article qu’Ovatiovermis utilisait peut-être le camouflage et/ou était peut-être suffisamment toxique pour éviter ou dissuader les prédateurs de s’attaquer à lui.

Pourquoi cet animal s’est-il fossilisé ?

Comme tous les autres animaux découverts dans les schistes de Burgess, Ovatiovermis aurait été enseveli très rapidement sous une coulée de boue sous-marine et la pression l’aurait aplati durant la fossilisation. Les raisons pour lesquelles tous ces animaux, fossilisés au même moment et sur le même site, ne se sont pas décomposés par la suite demeurent inconnues; les recherches se poursuivent pour en savoir davantage. Les caractéristiques chimiques de l’eau au Cambrien pourraient sans doute expliquer en partie la conservation exceptionnelle de tissus mous qui, autrement, auraient été détruits par décomposition.

Le message à retenir

Notre compréhension de l’origine et de l’évolution des espèces animales repose en grande partie sur des spécimens fossilisés exceptionnellement bien conservés comme ceux décrits dans la présente étude. Sans ces fossiles, nous en saurions très peu sur la morphologie et la diversité des animaux qui ont jadis habité notre planète. La présente étude montre aussi que les schistes de Burgess, pourtant connus des paléontologues depuis plus d’un siècle, continuent de révéler de nouvelles espèces. Le Musée royal de l’Ontario extraie des fossiles de ces schistes et des régions environnantes depuis 1975 en partenariat avec Parcs Canada. La poursuite des travaux sur le terrain permet de découvrir de nouveaux gisements riches de nouvelles espèces à décrire, donnant à penser que nous n’avons encore qu’effleuré la surface de ce à quoi ressemblaient les écosystèmes du Cambrien.

Voir Ovatiovermis au ROM

Vous pouvez voir l’un des deux spécimens à la base de cette étude au ROM dans la galerie Willner Madge de l’aube de la vie.

Pour en savoir plus sur les fascinants fossiles des schistes de Burgess et l’explosion cambrienne, visitez le site Web Les schistes de Burgess, conçu par le ROM et Parcs Canada.


Biographie de Jean-Bernard Caron et pages de recherche :

Pour en savoir plus sur les schistes de Burgess :

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