De l'Inde et du modernisme : Youngo Verma
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Youngo Verma (1938-2014), Tantra 21, New Dehi, Inde, graphite sur papier, 1981, 36 x 48 pouces. ROM 2014.14.1
Le ROM a récemment acquis une œuvre de l'artiste canado-indien Youngo Verma (1938-2014) qui illustre son travail sur les formes abstraites organiques. S'inspirant d'une visualité "néo-tantrique" indienne et participant au langage du modernisme mondial, cette œuvre renvoie au passé de l'Asie du Sud et à un présent contemporain international. Cette acquisition s'inscrit dans le cadre des efforts déployés par le ROM pour aborder les questions contemporaines par le biais de la forme visuelle. L'œuvre fait désormais partie de la collection du ROM et pourrait être exposée ultérieurement.
Juin 2012, Youngo Verma lors de son exposition personnelle à la Fourth Eye Gallery, Toronto. Photo Ali Adil Khan.
Verma est né en 1938, avant l'indépendance de l'Inde, et aurait été influencé par une génération d'artistes expérimentant de nouvelles formes combinant l'ancien et le nouveau. Le Tantra est l'une des sources du passé de l'Inde que les artistes modernes indiens se sont appropriés pour inventer un art nationaliste après l'ère du colonialisme britannique. Diplômé du Delhi College en 1964, Verma a enseigné l'art et la sculpture au Jammia Millia College de Delhi jusqu'en 1971. Mais Verma fait également partie de l'expérience diasporique : en 1971, il s'est installé en Allemagne, où il a été influencé par l'école du Bauhaus, en particulier par le sculpteur Brancusi, puis au Canada en 1981, où il vit depuis lors. Son œuvre est le fruit de toutes ces expériences et reflète les multiples facteurs qui façonnent les artistes d'aujourd'hui.
Détail de "Tantra 21"
L'œuvre "Tantra 21" a été créée minutieusement et stratégiquement avec rien d'autre que du graphite sur papier pour produire une forme abstraite qui semble dépasser de la surface du papier. Elle exprime ainsi la tridimensionnalité, comme si elle résistait ou défiait la planéité du papier. L'œuvre est le fruit d'un acte de méditation sur une longue période et vise à attirer le spectateur vers un état de transe.
Exemple de Shiva Lingam, temple de Tarakeshwar. Photo Siddeshwar Prasad, karnatakatravel.blogspot.ca.
Mais cette œuvre n'est pas une forme abstraite dénuée de sens ; elle est associée à la tradition du Tantra dans l'hindouisme et le bouddhisme, qui prône la méditation et le rituel pour parvenir à l'union avec le divin. Le dessin de Verma est non figuratif d'une part, mais ressemble aussi à une vue d'oiseau d'un lingam d'autre part. Un lingam est une tige de pierre entourée ou assise sur une pierre ronde(yoni) qui est la manifestation abstraite du dieu hindou Shiva. Le Lingam de Shiva se trouve souvent dans les temples hindous comme point central du culte et représente l'énergie cosmique procréatrice de Shiva. Il est censé ressembler aux parties procréatrices mâle et femelle en union, comme une métaphore de l'union spirituelle avec le divin.
La plupart des historiens s'accordent à dire que 1980 est une année charnière dans l'histoire de l'Inde, marquant une période de libéralisation économique et l'entrée du pays sur la scène internationale. Cette phase contraste avec le siècle et demi écoulé, dominé par le colonialisme britannique et le nationalisme indien. Les artistes indiens qui travaillent dans cette phase post-1980 sont marqués par une identité globale et ont élu domicile dans le monde entier. Ceux qui se sont installés au Canada ont développé une pratique visuelle influencée par l'histoire culturelle de l'Asie du Sud et de leur nouveau pays. Les résultats peuvent être surprenants, innovants et magnifiques. Mais jusqu'à présent, leur travail n'a pas reçu la visibilité qu'il mérite, que ce soit sur le marché de l'art canadien ou dans les institutions culturelles. Pour toutes ces raisons, leur travail est important dans la constitution de toute collection d'art contemporain mondial.