Découverte d'un grand prédateur dans un trésor fossilifère des schistes de Burgess
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Joe Moysiuk, doctorant et récipiendaire de la bourse Vanier, Musée royal de l’Ontario et Université de Toronto
Dans un article publié dans les Proceedings of the Royal Society B, nous dévoilions des fossiles d’une toute nouvelle espèce prédatrice aux dimensions impressionnantes. Cet animal possédait des pinces en forme de râteau et une gueule évoquant un ananas, à l’avant de sa formidable tête. Il nous éclaire sur la diversité des ancêtres les plus lointains des insectes, des crabes, des araignées et de leurs semblables. Les fossiles ont été découverts dans les schistes de Burgess, formation datant d’un demi-milliard d’années située dans le parc national Kootenay, dans la partie canadienne des Rocheuses..
Une plaque similaire à une carapace protégeait l’immense tête de la nouvelle espèce, dont le corps trapu était bordé de multiples nageoires, de chaque côté. On aperçoit deux grands yeux protubérants, dans des renfoncements, à l’arrière de la carapace. Le bouclier céphalique surprend par l’étrangeté de sa forme. Lors de nos travaux sur le terrain, nous avons été étonnés de constater combien il ressemblait au Faucon Millennium, le fameux engin spatial de la Guerre des Étoiles. D’où le second membre du nom scientifique de l’animal : Cambroraster falcatus!
Légende :
Carapace
Pinces
Oeil Oeil
Nageoires
À l’avant du corps, une paire de grosses pinces aux excroissances parallèles rappelle les dents d’un râteau. Selon nous, Cambroraster s’en servait pour emprisonner les proies dénichées dans la vase tapissant les fonds marins. Ensuite, ces proies étaient sans doute broyées par l’effrayant assemblage de plaques denticulées qui entoure la bouche circulaire de Cambroraster.
Cambroraster fait partie d’un groupe éteint d’animaux appelés radiodontes, parmi lesquels figure Anomalocaris, animal emblématique de l’époque, lui aussi disparu. En général, les fossiles se résument à des fragments des espèces apparentées à Cambroraster – tantôt une pince, tantôt une partie de l’appareil buccal –, si bien qu’il est difficile d’imaginer à quoi ressemblait l’organisme complet. Rien de pareil avec Cambroraster : toutes les parties du corps ont été préservées et, sur certains spécimens, on peut voir comment elles s’emboîtent les unes dans les autres.
Le nombre de fossiles de Cambroraster a lui aussi de quoi surprendre. Sur quelques plaques de schiste, nous en avons découvert des dizaines, ce qui laisse croire que les organismes ont été enfouis simultanément. La nourriture devait abonder à cet endroit pour qu’on y retrouve pareille concentration de prédateurs. Cela dit, Cambroraster ne se nourrissait peut-être pas en groupe. En effet, la façon dont les parties du corps sont placées donne à penser qu’il pourrait souvent s’agir de l’exosquelette, abandonné à la mue par l’arthropode durant sa croissance. Ces Cambroraster se rassemblaient peut-être pour muer, un peu comme le font quelques arthropodes modernes.
Cambroraster peuplait les mers du Cambrien, il y a environ 506 millions d’années. À l’époque, les eaux grouillaient de vie. Des poissons primitifs côtoyaient une multitude de vers, des sortes de crevettes et de bizarres animaux à coquille conique. Ces organismes ont tous été ensevelis lors d’un affaissement de terrain, ce qui explique leur excellent état de conservation.
Les découvertes ont été réalisées dans de nouveaux sites, près du canyon Marble, dans le parc national Kootenay (lors de fouilles successives autorisées par Parcs Canada pour la collecte de spécimens et la recherche), à une quarantaine de kilomètres des sites originaux des schistes de Burgess, dans le parc national Yoho, connus des scientifiques depuis plus d’un siècle. Plusieurs nouvelles espèces ont été décrites depuis que le canon Marble a révélé son gisement fossilifère en 2012, et de nombreuses autres le seront à l’avenir. En effet, l’exploration du parc national Kootenay a dévoilé l’existence d’affleurements massifs, riches en fossiles, qui pourraient brosser un tableau inédit de la diversité des espèces dans le temps et l’espace.
On peut voir quelques spécimens de Cambroraster, illustrant diverses parties du corps dans la nouvelle vitrine de la prochaine Galerie Willner Madge de l’aube de la vie, au premier étage du Musée.