Les règles de la taxonomie : nommer les espèces

L'arbre phylogénétique de la vie

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Pourquoi les conservateurs du ROM devraient-ils s’intéresser à un projet visant à créer une organisation qui réglementerait la désignation des espèces?

Nommer les choses qui l’entourent est un besoin fondamental de l’être humain et du langage. Mais nous n’en restons pas là : nous mettons de l’ordre en organisant la multitude de noms, en les classant en groupes. Prenons un livre de cuisine. L’auteur y énumère d’abord les ustensiles (cuillères, couteaux, batteurs, bols, casseroles, etc.), puis les techniques (mélanger, pétrir, fouetter, cuire, découper, frire, et ainsi de suite). Les recettes sont souvent énumérées en fonction de leurs ingrédients (légumes, fruits, viandes, fruits de mer, champignons).

Un musée comme le ROM classe les objets qu’il recueille et expose : artéfacts humains de diverses cultures (anciennes et contemporaines); spécimens du monde naturel – roches, minerais, plantes, animaux, champignons. Les conservateurs du ROM qui prennent soin de ces collections sont des spécialistes dans des disciplines scientifiques qui les aident dans la collecte et l’identification de nouveaux artéfacts et spécimens, puis les rangent dans la bonne collection.

Crataegus macracantha

En sciences naturelles, le conservateur fait au moins deux choses : il structure les collections et perfectionne le système permettant d’organiser les objets qui les composent. C’est un travail passionnant, car le principe directeur, partout au musée, est l’histoire, c’est-à-dire la façon dont les objets en sont venus à être ce qu’ils sont. Il peut s’agir de l’histoire de l’humanité et de ses cultures, ou de celle des technologies. En ce qui concerne les organismes, vivants ou fossiles, récoltés par le musée – plantes, animaux et champignons –, cette histoire est celle de la vie et de son évolution sur la Terre.

Les conservateurs du ROM qui étudient les plantes, les animaux et les champignons sont à la fois taxonomistes et biologistes. Ils ont donc pour tâche non seulement d’organiser les collections, mais aussi d’étudier l’évolution des organismes qu’elles contiennent. Au cours du siècle dernier, la biologie a montré que l’histoire de l’évolution est inscrite dans l’ADN des organismes. Par conséquent, on pourrait dessiner un arbre phylogénétique regroupant toutes les formes de vie, tout comme l’arbre généalogique d’une famille retrace les ancêtres. Bien qu’exagérée, cette simplification n’en demeure pas moins véridique, de manière générale. L’analogie s’arrête avec aux humains, tous de la même espèce. Les collections d’organismes vivants et de fossiles du ROM représentent des centaines de milliers, sinon des millions d’espèces. C’est cette biodiversité dont on entend parler si souvent dans le monde, et que nous nous efforçons de protéger au ROM, dans des galeries comme La vie en péril : Galerie Schad de la biodiversité.

Pour préserver la biodiversité, on a besoin d’une classification précise, fondée sur la science (autrement dit, un système de désignation des organismes). Sans cela, nous serions incapables de décrire la multitude d’espèces qui peuplent les forêts tropicales, par exemple, puis de la comparer au petit nombre d’espèces qui vivent dans les forêts du Nord canadien. Faute d’une telle classification, nous ne pourrions appréhender la disparition des espèces découlant de la transformation des forêts tropicales en plantations de palmiers. Sans une telle classification, nous ne comprendrions pas non plus pourquoi si peu d’espèces se sont acclimatées aux régions boréales du Canada, ni comment le changement climatique planétaire les touche. En l’absence de pareille classification, il serait impossible d’identifier les espèces que l’urbanisation ou la pollution de l’environnement menacent d’extinction, en Ontario.

Les biologistes s’entendent presque tous pour dire que la meilleure façon de classer les organismes vivants est de retracer l’histoire de leur évolution. C’est ce qu’on appelle la phylogénie de la vie. Selon ce mode de pensée, le nom des groupes d’espèces devrait refléter la manière dont ces groupes forment les branches de l’arbre de la vie. Dans le diagramme ci-dessous, les plantes vertes (c’est-à-dire, les algues vertes, les mousses et les hépatiques, les fougères, les conifères et les cycadophytes, de même que les plantes à fleurs) sont toutes réunies sous le nom savant de « Chloroplastida », qui signifie organismes-à-chlorophylle b-contenant-les-organelles-de-la-photosynthèse.

Phylogenetic Tree of Life

Pourquoi les conservateurs du ROM devraient-ils s’intéresser à un projet visant à créer une organisation qui réglementerait la manière dont les espèces vivantes sont nommées? Ce que j’ai essayé de faire comprendre, c’est que la taxonomie (ou taxinomie) est un mode d’investigation scientifique face à la nature, où l’observation engendre des hypothèses (ce qui constitue ou pas une espèce), puis où le bien-fondé de ces hypothèses est vérifié grâce à de nouvelles données. Les résultats des recherches de ce genre sont publiés après avoir été examinés par des pairs et soumis à l’attention de la communauté scientifique qui retient ou non la proposition des auteurs. Deux ornithologues australiens ont avancé qu’on devrait formuler des règles qui détermineraient ce qui peut ou ne peut être déclaré une espèce sans tenir compte de la démarche scientifique, ce qui reviendrait à abandonner la démarche scientifique. Dans un article publié aujourd’hui dans le périodique électronique PLoS Biology, leurs détracteurs, dont je fais partie, soutiennent que les espèces ne sont pas des entités immuables, mais des groupes d’organismes vivants en perpétuelle évolution. C’est pourquoi le processus qui nomme les espèces doit garder assez de souplesse et autoriser l’addition de données inédites pour rester aussi précis que possible.

Comme le disait un de mes collègues, l’un des auteurs de l’article publié sur PLoS Biology, « imaginez que quelqu’un préconise la création d’un nouvel organisme directeur chargé d’établir si le travail de tel ou tel artiste est de l’art ou pas. Les taxonomistes que nous sommes s’insurgeraient, affirmant qu’il est absurde de qualifier quelque chose d’artistique uniquement parce qu’un petit groupe de personnes en a décidé ainsi. C’est aux amateurs d’art qu’il revient de fixer la valeur artistique d’une œuvre, tout comme il revient aux scientifiques en général d’établir (par la méthode scientifique) le bien-fondé d’un choix taxonomique. »

Approfondissez ce sujet en lisant l’article de l’Université de Toronto intitulé « Leave taxonomy to the taxonomists and biologists: Q & A with Nathan Lujan », rédigé par mon collègue (autre co-auteur de l’article du PLoS Biology). Nathan Lujan est un postdoctorant au ministère des Pêches et des Océans du Canada. Il fait partie du département de biologie de l’Université de Toronto à Scarborough et est titulaire de la bourse internationale en recherche de la NSF, au Musée royal de l’Ontario.

 Tim Dickinson

Curateur principal émérite, histoire naturelle (botanique), Musée royal de l’Ontario, et professeur auxiliaire, écologie et biologie évolutive, Université de Toronto

Découvrez l’herbier des plantes vertes du ROM. Vous le trouverez au Centre de conservation Louise Hawley Stone du Musée. L’entreposage compact de la collection a dégagé assez d’espace pour que les employés et les visiteurs puissent y étudier et analyser les spécimens, ainsi que pour accueillir une part importante de la collection d’ouvrages et de périodiques en botanique du Musée.

 

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