Solution innovante à un étrange problème
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La restauration d’une chape en cotonnade indienne réalisée au 18 e siècle pour l’Église arménienne
Ici, au département de restauration des textiles du ROM, Chris Paulocik, restauratrice principale des textiles, et moi avons commencé à préparer les objets en vue de la prochaine exposition intitulée L’étoffe qui a changé le monde : les cotonnades indiennes.
L’exposition examinera l’influence très étendue qu’ont eue les motifs et les techniques de fabrication des cotonnades peintes et imprimées de l’Inde ‒ d’ailleurs appelées « indiennes » ‒, quand les marchands de textiles ont introduit ce produit en Europe occidentale au 16e siècle.
Cette chape en cotonnade indienne datée de 1787 revêt un intérêt particulier dans notre laboratoire. La chape est un vêtement de cérémonie semi-circulaire porté par le clergé chrétien.
Notre chape a été confectionnée en Inde pour l’Église arménienne et dédiée à la mémoire d’un couple et de son fils. Une inscription portant les noms et la date figure sous une grande croix, au centre du décor.
Le décor se compose, outre la croix et l’inscription, de cornes d’abondance disposées géométriquement sur toute la surface du vêtement. Le motif est inversé de part et d’autre de la croix centrale et de l’inscription, créant une image en miroir.
La chape comporte une bordure extérieure formée de têtes d’anges ailées, toutes différentes. La visite au laboratoire de restauration des textiles du ROM, en octobre dernier, de la spécialiste des teintures Jagada Rajappa et du maître graveur Gangadhar Kondra a suscité l’observation suivante : le décor de la chape a probablement été peint à la main, le dessin original ayant peut-être été réalisé au pochoir. La bordure a par ailleurs été imprimée selon un rapport de petits cercles concentriques semblables à une cible.
La chape est particulièrement bien préservée, mis à part quelques petits trous mystérieux, dont certains ont été réparés dans le passé. Les parties manquantes concernent parfois le tissu extérieur et la doublure, parfois uniquement le tissu extérieur. Dans quelques cas, on a réparé le tissu extérieur et la doublure à l’aide de pièces de tissu imprimé ayant le même motif ou, au contraire, un motif complètement différent.
Il n’est pas rare qu’un tissu ancien comporte des trous causés soit par l’usure, soit par la réaction chimique d’une substance qui tache, soit encore par des insectes ravageurs. Une tache de graisse sur un tissu qui n’a pas été lavé et qui est conservé dans un environnement non contrôlé pourra attirer un ravageur qui rongera le tissu, produisant un effet rappelant le gruyère quand on dépliera le tissu.
Bien souvent, de petites zones maculées autour du trou fourniront des indices sur la cause du dommage. Dans nombre de cas, les bords des plus grands trous observés dans la chape du ROM ont été retournés vers l’intérieur, apparemment en prévision d’un reprisage. Il est malheureusement impossible de déterminer la date où s’est produit le dommage dans l’histoire de la chape.
Les traitements de conservation ont en général pour objectif de stabiliser l’état d’un objet et d’empêcher toute détérioration additionnelle. Le traitement appliqué à notre chape aura le même but. Pour que les trous ne s’agrandissent pas et que la bordure ne s’effiloche pas davantage, nous allons coudre des pièces de tissu à l’aide de fils de soie.
Ces pièces de tissu ont aussi une fonction esthétique, car elles évitent à l’œil de s’arrêter sur les parties manquantes. Bien souvent, ces pièces sont découpées dans un tissu de même poids (ou plus léger) et teintes de la même couleur que celle de l’objet. Ici, comme la simple insertion de pièces de même couleur ne nous permettrait pas vraiment de camoufler les trous, nous nous sommes donc mis en quête de méthodes de reproduction du motif de la chape.
L’impression textile numérique a gagné en popularité ces dernières années dans l’industrie de la mode. Elle est de plus en plus utilisée par les restaurateurs de textiles pour réparer des tissus ou créer des coupons destinés à la reproduction de vêtements.
Les recherches effectuées dans le milieu de la restauration des textiles sur l’applicabilité de l’impression numérique aux objets muséaux nous ont aidés à choisir le procédé d’impression numérique le plus approprié. La solidité au lavage des encres d’imprimerie constituait pour nous un facteur important, car il ne fallait pas que ces encres bavent en présence d’humidité.
Les grosses imprimantes à jet d’encre, qui peuvent imprimer sur des tissus spécialement préparés, fonctionnent à partir de fichiers d’images créés à l’aide de logiciels de dessin et téléchargés sur le site Internet de l’imprimeur.
Pour ce faire, des photos haute résolution sont d’abord prises par Brian Boyle, le photographe du ROM. Ensuite, on choisit un détail de la surface de la chape et on manipule l’image afin qu’elle soit à la même échelle que l’objet original.
Une fois la bonne échelle obtenue, il faut uniformiser les couleurs afin qu’elles soient identiques sur notre ordinateur et sur celui de l’imprimeur et, surtout, qu’elles correspondent exactement à celles du textile original. On choisit ensuite, à partir d’échantillons fournis par l’imprimeur, le tissu sur lequel l’image sera imprimée.
Les motifs reproduits sur la chape étant maintes fois répétés, on utilise une image provenant d’une partie intacte de l’objet pour créer une pièce de tissu qui servira à réparer la partie endommagée.
Lara Morrison nous apporte une aide précieuse pour réparer les pièces de tissu. Lara termine un baccalauréat en design et artisanat avec spécialisation en textiles au collège Sheridan. Elle possède une vaste expérience de l’impression textile numérique.
Lara a créé les fichiers d’images nécessaires à la production des pièces de tissu et a assuré la liaison avec l’imprimeur, le Groupe Emerson de Mississauga, pour réaliser les échantillons.
La réparation de la chape prendra encore quelques semaines. Les premiers résultats nous émerveillent. Nous avons hâte de vous montrer la chape, une fois le traitement terminé.
Anne Marie Guchardi
Restauratrice des textiles
Département de restauration des textiles, ROM