Un minuscule prédateur vieux d’un demi-milliard d’années révèle l’origine des scorpions et des araignées

Musée royal de l'Ontario Michael Lee-Chin Crystal. Entrée de la rue Bloor.

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Communiqué de presse

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Reconstruction of Mollisonia plenovenatrix, by Joanna Liang ©Royal Ontario Museum

TORONTO, le 11 septembre 2019 - Deux paléontologues qui travaillent sur les schistes de Burgess, gisement fossilifère connu dans le monde entier, ont découvert une nouvelle espèce qui est à ce jour le plus ancien chélicérate (ou chélicéré) connu. Mollisonia plenovenatrix, de son nom, ferait donc remonter ce vaste groupe d’invertébrés, qui regroupe au-delà de 115 000 espèces parmi lesquelles les limules, les scorpions et les araignées, à plus de 500 millions d'années. Les observations des chercheurs sont publiées dans le numéro du 11 septembre 2019 de la prestigieuse revue Nature.

En dépit de sa taille, Mollisonia plenovenatrix était sans doute un féroce prédateur. En effet, cet animal aussi gros que le pouce disposait de deux yeux ovales volumineux et d’un « arsenal d’instruments » sur la tête, incluant de longues pattes déambulatoires et une série d’appendices lui permettant de palper, d’agripper, de broyer et de mastiquer. Cependant, le plus remarquable est l’existence d’une paire de petites « pinces » devant la bouche : les chélicères, appendices caractéristiques auxquels le groupe des scorpions et des araignées doit son nom. Les chélicérates utilisent ces pinces pour tuer, immobiliser et parfois découper leurs proies. 

« Avant cette découverte, nous n’avions pas réussi à identifier de chélicères chez d’autres fossiles du Cambrien, même si certains présentent certaines caractéristiques des chélicérates », explique Cédric Aria, auteur principal de l’article, qui participe aux expéditions du Musée royal de l’Ontario aux schistes de Burgess depuis 2012 et est aujourd’hui chercheur postdoctoral à l’Institut de géologie et de paléontologie de Nankin (Nanjing), en Chine. « Ce caractère, cette marque de fabrique des Chélicérates, manquait encore. »

D’autres aspects du fossile, notamment les membres arrière, semblables à des branchies, laissent croire que Mollisonia ne constitue pas une quelconque forme « primitive » qui annonce l’arrivée des chélicérates. En réalité, le fossile est morphologiquement très proche des espèces contemporaines.

« Les chélicérates sont dotés de branchies ou de poumons en feuillets, poursuit le paléontologue. Ces organes respiratoires se composent d’un grand nombre de minces lamelles, reliées à la manière d’un livre. La surface considérablement plus grande ainsi obtenue améliore les échanges gazeux. Les appendices de Mollisonia ne comptent que trois feuillets et constituent sans doute une étape intermédiaire dans l’évolution de ces appendices. »

Selon les auteurs, Mollisonia devait chasser près du plancher marin, car l’animal possède des pattes bien développées pour la marche. Il s’agissait donc, comme on a coutume de dire en écologie, d’un micro-prédateur « benthique ». Mollisonia ressemble tant aux formes modernes que les chélicérates ont sans doute dû proliférer rapidement et combler cette niche peu occupée par les arthropodes de l’époque. Les chercheurs en concluent que l’origine des chélicérates remonte encore plus loin dans le Cambrien, au cœur de « l’explosion » de diversité qui a eu lieu à cette époque.

« De plus en plus d’indices donnent à penser que l’explosion cambrienne a été encore plus rapide qu’on l’imagine », reprend M. Aria, Ph.D. « Trouver un site tel que les schistes de Burgess qui remonte au tout début du Cambrien revient en quelque sorte à regarder l’œil du cyclone. »

L’importance des schistes de Burgess et d’autres gisements analogues, telle la faune de Chengjiang, en Chine, réside en effet dans la façon exceptionnelle dont les premières communautés d’animaux marins primitifs ont été préservées. À cette époque unique, les formes de vie se sont diversifiées si vite qu’on parle d’« explosion cambrienne ». » Les fossiles de ces localités préservent un bon nombre de leurs particularités morphologiques, notamment les membres et les yeux, mais aussi les intestins et, plus rarement, les tissus du système nerveux.

Mollisonia a été décrit pour la première fois il y a plus d’un siècle par Charles Doolittle Walcott, celui qui a découvert les schistes de Burgess. Néanmoins, on ne disposait jusqu’à présent que d’exosquelettes de l’animal en quantité réduite. « C’est la première fois que les membres et les autres tissus mous de ce type d’animal font l’objet d’une description qui en révèle l’identité », précise Jean-Bernard Caron, Ph.D., conservateur Richard M. Ivey de paléontologie des invertébrés au Musée royal de l’Ontario (Canada), qui signe également l’article. Les nouveaux spécimens, extrêmement bien préservés, proviennent de sites mis à jour depuis peu dans les schistes de Burgess, près du canyon Marble, dans le parc national Kootenay, en Colombie-Britannique.

« Pour l’instant, le canyon Marble est le point d’orgue de ma carrière. L’endroit recèle de magnifiques trésors que nous exhumons d’année en année, poursuit M. Caron, qui dirige les expéditions du Musée royal de l’Ontario aux schistes de Burgess depuis dix ans. Jamais je n’aurais pensé que l’on pouvait, pour ainsi dire, « redécouvrir » les schistes de Burgess, cent ans plus tard, avec toutes les nouvelles espèces qui voient le jour. »

Les spécimens de Mollisonia plenovenatrix décrits dans l’article sont d’une meilleure qualité que ceux découverts à la carrière Walcott, une quarantaine de kilomètres au nord-ouest du canyon Marble. De nombreux autres fossiles du canyon Marble et des environs nous en ont déjà beaucoup appris sur les prémices du règne animal, y compris les vertébrés, dont l’être humain fait partie. Ceux-ci comprennent notamment une multitude de spécimens extraordinairement bien préservés du « poisson » Metaspriggina walcotti. Beaucoup d’autres espèces restent toujours à décrire. La dernière en date est un arthropode ancestral, un prédateur, semblable à une petite « soucoupe volante », qui possédait d’énormes pinces en forme de râteau, baptisée Cambroraster falcatus, dont la description a été dévoilée le 31 juillet 2019.

Le site fossilifère des schistes de Burgess se situe dans les parcs nationaux Yoho et Kootenay, administrés par Parcs Canada. Cet organisme fédéral est fier de collaborer avec des scientifiques de renom pour enrichir non seulement notre savoir sur cette période capitale de l’histoire de la Terre, mais aussi de permettre à chacun de découvrir ces sites grâce à des randonnées guidées, qui ont été couronnées de prix dans le monde entier. L’UNESCO a ajouté les schistes de Burgess au Patrimoine mondial en 1980 en raison de la valeur exceptionnelle qu’ils présentent pour l’humanité. À présent, ils font partie du site du Patrimoine mondial plus étendu que forment les parcs des Rocheuses canadiennes.

Mollisonia figurera parmi la multitude de fossiles extraordinaires des schistes de Burgess qui seront exposés dans la future Galerie Willner Magde de l’aube de la vie au ROM, dont l’inauguration est prévue en 2021.

Les recherches et les fouilles ont bénéficié d’un important financement du Musée royal de l’Ontario (subventions pour la recherche et les collections, subventions pour le travail de terrain en histoire naturelle), de la famille Polk Milstein, de la National Geographic Society (#9475-14 au professeur Caron), du Conseil de recherches de Suède (à Michael Streng), de la National Science Foundation (NSF-EAR-1554897) et du Collège Pomona (à Robert R. Gaines). Les recherches ont également bénéficié de la subvention à la découverte accordée à M. Caron par le CRSNG (#341944) et d’une aide de la Fondation Dorothy Strelsin (ROM). Les travaux de M. Aria à l’Institut de géologie et de paléontologie de Nankin (Nanjing) sont subventionnés par l’initiative des bourses internationales(#2018PC0043) du président de la Chine et une bourse postdoctorale de la fondation chinoise pour la science (#2018M630616).

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LE ROM

Ouvert en 1914, le Musée royal de l’Ontario (ROM) fait connaître les arts, la culture et la nature du monde entier au fil des siècles. Le ROM, l’une des 10 institutions culturelles les plus réputées d’Amérique du Nord, est aussi le musée le plus important et le plus complet au Canada. Ses collections de classe mondiale réunissent plus de treize millions d’objets d’art et de spécimens naturels dans 40 galeries et salles d’exposition. Principal centre de recherche sur le terrain au pays et chef de file mondial pour ses découvertes originales, le ROM joue un rôle essentiel dans notre appréciation des arts, de la culture et de la nature. Le Musée, qui allie l’architecture de l’édifice historique et le style contemporain du Cristal Michael Lee-Chin créé par le Studio Daniel Libeskind, constitue à la fois un site d’intérêt national et une destination culturelle dynamique en plein centre de Toronto dont tous et toutes peuvent profiter.

L’INSTITUT DE GÉOLOGIE ET DE PALÉONTOLOGIE DE NANKIN

Officiellement fondé le 7 mai 1951, l’Institut de géologie et de paléontologie de Nankin (Nanjing), organe de l’Académie des sciences de Chine, est né de la fusion de l’ancien service de paléontologie de l’Institut de géologie (Academia Sinica) et de l’équipe de paléontologie de la Commission géologique de Chine. Il s’agit de la seule institution académique chinoise à se spécialiser en paléontologie des invertébrés et en paléobotanique. C’est aussi l’organisme de recherche du genre le plus important en Asie. L’Institut attire de nombreux collaborateurs de la planète entière. L’étude des faunes de Chengjiang figure parmi ses principaux champs de recherche.

 

David McKay
Coordonnateur des communications
Musée royal de l’Ontario
davidm@rom.on.ca  
416.586.5559

 

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