Un prédateur marin avec une « tête multifonction » ayant vécu il y a 508 millions d’années

Musée royal de l'Ontario Michael Lee-Chin Crystal. Entrée de la rue Bloor.

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Communiqué de presse

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Plus vieux parent connu des araignées, des scorpions et des limules, Habelia optata avait développé une tête sophistiquée lui permettant de chasser des petits animaux à carapace dure et donc de s’en nourrir.

TORONTO, le 21 décembre 2017 – Des paléontologues de l’Université de Toronto et du Musée royal de l’Ontario (ROM) ont complètement réexaminé Habelia optata, une petite créature marine féroce depuis longtemps éteinte, qui déconcertait la communauté scientifique depuis sa découverte il y a plus d’un siècle. La recherche en question, dont l’auteur principal est Cédric Aria, un récent diplômé du programme doctoral du département d’écologie et de biologie évolutive de l’Université de Toronto, et le co-auteur est Jean-Bernard Caron, conservateur principal de paléontologie des invertébrés au ROM et professeur agrégé aux départements des sciences de la Terre, d’écologie et de biologie évolutive de l’Université de Toronto, a été publiée aujourd'hui le 21 décembre par la revue BMC Evolutionary Biology.

Mesurant environ 2 cm de long et possédant une queue de la même longueur que son corps, Habelia optata fait partie du groupe des arthropodes, un embranchement d’invertébrés qui inclut des animaux plus connus tels que les araignées, les insectes, les homards et les crabes. Ce petit animal aurait existé il y a 508 millions d’années, pendant le Cambrien moyen, et a été trouvé dans les gisements fossilifères des schistes de Burgess en Colombie-Britannique. Il serait issu de l’explosion cambrienne, une période d’évolution rapide durant laquelle la plupart des groupes d’animaux sont apparus pour la première fois, d’après les archives fossiles.

Comme tous les arthropodes, Habelia optata possède un corps segmenté, un exosquelette et des appendices articulés. Pourtant, durant des décennies, personne n’avait su déterminer précisément à quel groupe d’arthropodes Habelia devait être rattaché. Les premières études sur le sujet favorisaient les mandibulés, un groupe extrêmement diversifié dont les membres ont des antennes et une paire d’appendices nommés « mandibules », qu’ils utilisent habituellement pour manipuler, tenir et broyer leur nourriture. Malgré cela, la classification exacte d’Habelia parmi les arthropodes des schistes de Burgess était demeurée incertaine.

La nouvelle analyse menée par les chercheurs de l’Université de Toronto et du ROM semble démontrer qu’Habelia optata est en fait un proche parent de l’ancêtre de tous les chélicérates, l’autre sous-embranchement des arthropodes qui existe encore de nos jours. Ce sous-embranchement tire son nom des appendices nommés « chélicères », qui sont situés à l’avant de la bouche de l’animal et servent à couper sa nourriture. Cette distinction a été faite principalement grâce à l’observation des fossiles, soit la forme générale de la tête d’Habelia et deux appendices ressemblant à des chélicères.

« Nous voyons maintenant très précisément la structure corporelle d’Habelia à laquelle se rattachent les chélicères, ce qui nous permet de résoudre certaines questions qui sont longtemps demeurées en suspens, » explique M. Aria, Ph.D., qui effectue maintenant des recherches de niveau postdoctoral à l’Institut de géologie et de paléontologie de Nankin, en Chine. « Par exemple, poursuit-il, nous arrivons maintenant à expliquer pourquoi les limules ont une petite paire d’appendices appelés “chilaria” à l’arrière de la tête. Il s’agit en fait de vestiges d’appendices complets, car il semble que les chélicérates avaient à l’origine au moins sept paires d’appendices sur la tête. »

Monsieur Aria et le professeur Caron ont analysé 41 spécimens au total, dont la majorité ont été découverts lors des fouilles menées par le ROM aux schistes de Burgess.

D’après l’analyse menée, Habelia optata avait un exosquelette « cuirassé » et couvert de nombreuses épines différentes. Son corps était divisé en trois parties, la tête, le thorax et la région post-thoracique, qui comportaient toutes des appendices différents. Le thorax avait cinq paires de pattes locomotrices, tandis que la région post-thoracique comportait des appendices arrondis qui lui permettaient probablement de respirer.

« Les scorpions et les scorpions de mer, ces derniers étant aujourd’hui éteints, sont aussi des chélicérates dont le corps est divisé en trois parties, explique M. Aria. Nous croyons que cette organisation correspond à peu près à celle d’Habelia. Par contre, il existe une différence importante : contrairement à Habelia, dont les appendices moteurs sont situés sur le thorax, les scorpions et les scorpions de mer marchent sur la tête. »

Les deux chercheurs affirment que c’est cette différence anatomique qui a permis à Habelia de développer une tête aux caractéristiques si complexes et si étranges pour un chélicérate, du moins les espèces que l’on connaît. En effet, sa tête était pourvue de cinq larges appendices en plaques bordées de dents pour mastiquer (gnathobases), un membre épineux servant à agripper et une branche filiforme servant d’organe sensoriel ou tactile.

« Cet assemblage complexe d’appendices et de mâchoires faisait d’Habelia un prédateur exceptionnellement féroce pour sa taille, affirme M. Aria. Il était probablement très agile et pouvait facilement déchiqueter ses proies. »

Malgré la filiation entre Habelia et les chélicérates, la présence de ces caractéristiques inhabituelles a amené les deux chercheurs à comparer les fonctions de la tête d’Habelia avec celles des mandibulés. C’est ainsi qu’ils ont supposé qu’Habelia utilisait les branches sensorielles de sa tête comme les mandibulés utilisent leurs antennes. De plus, ils ont constaté que les plaques du milieu s’ouvraient et se fermaient en parallèle avec le dessous de sa tête, comme c’est le cas chez les mandibulés, tout particulièrement chez ceux qui se nourrissent d’animaux à carapace dure.

Finalement, une septième paire d’appendices à l’arrière de la tête jouait probablement un rôle semblable aux maxillipèdes des mandibulés, qui sont impliqués dans la nutrition. Il s’agirait ici d’un exemple de convergence, due à la similarité des fonctions plutôt qu’à l’origine.

« Du point de vue de l’évolution, Habelia se situe près du point de séparation entre les chélicérates et les mandibulés, ajoute M. Aria. Par contre, les caractéristiques qu’il a en commun avec les mandibulés sont le résultat de modifications secondaires de structures qui étaient déjà en partie présentes chez les chélicérates. Ceci semble indiquer que les chélicérates sont les descendants d’espèces ayant une grande variabilité morphologique. »

En observant la structure exceptionnelle de sa tête et ses pattes développées, les chercheurs ont conclu qu’Habelia optata, tout comme ses proches parents, était un prédateur actif qui chassait des petits animaux à carapace dure sur le plancher océanique, comme les trilobites, de petits arthropodes à exosquelette minéralisé, qui étaient déjà présents en grand nombre et sous des formes variées pendant le Cambrien.

« Ceci confirme le rôle important qu’ont joué les animaux à parties dures dans le processus évolutif lors de l’explosion cambrienne. Nous comprenons mieux aussi les écosystèmes de cette époque, notamment la relation entre le prédateur et ses proies, et son impact essentiel sur le développement des arthropodes qui existent de nos jours, » affirme le professeur Caron, qui a été le directeur de thèse de M. Aria pendant la plus grande partie de cette recherche.

« On considère que l’apparition et la dispersion d’animaux à carapace dure est l’une des caractéristiques principales de l’explosion cambrienne, poursuit le professeur. Habelia est un exemple permettant d’illustrer l’importance de ce facteur dans la diversification des chélicérates et des arthropodes en général. »

Les résultats obtenus sont détaillés dans une étude publiée en anglais sous le titre « Mandibulate convergence in an armoured Cambrian stem chelicerate », qui comprend aussi des animations montrant la structure corporelle et le mécanisme d’alimentation complexe d’Habelia optata, réalisées par l’artiste et illustratrice scientifique Joanna Liang. Mme Liang a produit ces animations en collaboration avec M. Aria et le professeur Caron dans le cadre de sa maîtrise en communication biomédicale, supervisée par le professeur Dave Mazierski.

L’université de Toronto et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ont contribué financièrement à cette recherche. Les spécimens d’Habelia du Musée royal de l’Ontario ont été recueillis pendant les années 1990, en vertu de permis de recherche et de collecte de Parcs Canada. Les gisements fossilifères des schistes de Burgess se situent dans les parcs nationaux Yoho et Kootenay. Parcs Canada assure la protection de ces sites et œuvre avec des scientifiques de renom afin d’enrichir nos connaissances et de nous aider à mieux comprendre cette période cruciale de l’histoire de la Terre. Les schistes de Burgess ont été classés « site du patrimoine mondial » par l’UNESCO en 1980 pour leur valeur universelle exceptionnelle. Ils font maintenant partie du site du patrimoine mondial des parcs des montagnes Rocheuses canadiennes.

Pour en savoir plus sur cette étude, voir le blogue du ROM à l'adresse https://www.rom.on.ca/en/blog/habelia-a-fossil-predator-with-a-multi-tool-head.

Autres ressources en ligne

Site web sur Les schistes de Burgess, Musée virtuel du Canada, une collaboration du Musée royal de l'Ontario et de Parcs Canada
Projets sur les schistes de Burgess du Musée royal de l'Ontario
Aperçu de la Galerie de l'aube de la vie

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