Donner un sens à Auschwitz

Le ROM propose une exposition exhaustive qui tente de saisir l'énormité de l'Holocauste
Train Car

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Art et culture

Auteur

Colin Fleming
Colin J. Fleming
Rédacteur en chef

Début

Jour et nuit, des trains arrivent à Auschwitz, transportant des milliers de Juifs, de Polonais, de Roms et d'autres personnes entassées dans des wagons de marchandises crasseux. À l'arrivée, les prisonniers, et leurs maigres bagages, se retrouvent sur le quai – une meute de familles terrifiées, de chiens montrant les dents et d'officiers SS en uniforme.

« Ils l’ignoraient, mais les nouveaux arrivants étaient sur le point d’être sélectionnés, écrit Jonathan Freedland dans son ouvrage L’évadé d’Auschwitz : L’homme que personne n’a voulu croire. S’ils étaient dirigés vers la droite, ils seraient emmenés en premier, enregistrés comme prisonniers et auraient la possibilité de travailler et donc de vivre, ne serait-ce que pour un temps. S’ils étaient dirigés vers la gauche, c’est la mort qui les attendait. »

De ceux condamnés à mourir, très peu comprenait ce qui les attendait. Cela n’avait rien du hasard, mais faisait plutôt partie de l’intention des nazis d’apaiser les personnes qu’ils tentaient d’assasiner – le tout dans l’intérêt du secret et de l’efficacité. 

Alors que les prisonniers étaient rassemblés dans les chambres à gaz, un écriteau leur assurait qu’ils se trouvaient aux « douches ». La dernière chose que ces prisonniers ont vu avant que les capsules de Zyklon B soient lâchées dans la chambre sont les faux pommeaux de douche. 

L’autre raison pour laquelle un si grand nombre d’arrivants n’ont pas compris ce qui les attendait tient au fait que l’existence même d’Auschwitz – le plus important site de tuerie de masse attestée dans l’histoire de l’humanité – était à la limite du concevable.

« L’existence même d’Auschwitz – le plus important site de tuerie de masse attestée dans l’histoire de l’humanité – était à la limite du concevable. »

Deuxième

« C’était sans précédent dans l’histoire, affirme Robert Jan van Pelt (Ph. D.), professeur à l’École d’architecture de l’Université de Waterloo, spécialiste éminent de l’Holocauste et commissaire principal de l’exposition Auschwitz. Pas si longtemps. Pas si loin. Les camps de prisonniers existaient depuis la fin du 19e siècle avec la mise en marché des barbelés bon marché et la fabrication de baraquements à l’échelle industrielle. Mais l’idée d’endroits servant à la détention sans procédure judiciaire de milliers de personnes assujeties à la famine, aux abus et à la main-d’œuvre forcée était sans précédent dans l’histoire. »

Si l’envergure du camp était sans précédent, aujourd’hui, les historiens qui étudient Auschwitz ont accès non seulement aux témoignages des victimes mais à des montagnes de documents d’archives provenant des nazis. « En 1945, après la défaite de l’Allemagne nazie et les bombardements, les preuves se sont retrouvées à la rue du moins métaphoriquement, de dire Van Pelt. Les Américains ont confisqué les archives militaires allemandes afin de recueillir des preuves qui ont servi dans le cadre des procès de Nuremberg. »

Malgré l’abondance de preuves et les témoignages des survivants, l’énormité de l’Holocauste demeure difficile à comprendre – un fait qui, selon Van Pelt, fait le jeu des négationnistes.

La question qui se pose est donc la suivante : Comment enseigner l’histoire d’Auschwitz et de l’Holocauste ? Pour Van Pelt, la réponse se trouve dans l’exposition exhaustive dont il est le cocréateur : Auschwitz. Pas si longtemps. Pas si loin.

Conçue par Musealia, en collaboration avec le Musée national d’Auschwitz-Birkenau en Pologne, et développée par un comité international de conservateurs et d’historiens de renom, l’exposition est la plus exhaustive jamais réalisée sur le sujet. Le ROM est la seule étape canadienne de sa tournée internationale. Les témoignages de survivants, les documents d'archives et les récits de première main des forces d’émancipation créent un lien profond avec plus de 500 objets originaux réunis dans l’exposition, dont la plupart n’ont jamais été vus auparavant au Canada – prêtés par le Mémorial d’Auschwitz et plus de 20 autres grandes institutions et collections privées à travers le monde.

« Les objets personnels réunis dans l’exposition (brosses à cheveux, boutons et lunettes) donnent un aperçu de l’ampleur de la dévastation. L’impact le plus dévastateur de l’Holocauste est intérieur et profond » affirme Van Pelt.

Trois

Si la quantité de matériel semble écrasante, sa présentation est d’une grande sobriété. Luis Ferreiro, directeur général de Musealia et concepteur de l’exposition, souhaitait « une présentation quasi clinique des faits et des artéfacts ». Son approche et l’exposition s’inspirent de l’ouvrage Découvrir un sens à sa vie dans lequel Viktor Frankl, auteur, psychiatre et rescapé de l’Holocauste, expose sa théorie selon laquelle la quête de sens est la base du bien-être mental.

« Frankl ne joue pas avec les sentiments. Il ne cherche pas à vous faire pleurer, affirme Ferreiro. Il cherche à vous toucher doucement et non pas à vous secouer ou vous forcer. En fin de compte, le changement est quelque chose qui nous appartient. »

La circonspection et la présentation quasi clinique du matériel constituent la trame de l’exposition. À preuve, le premier objet présenté dans l’exposition : une chaussure de femme rouge. À partir du moment où l’Armée rouge a découvert des piles de chaussures lors de la libération des premiers camps de concentration, les chaussures sont devenues un puissant symbole de l’Holocauste. Comme le remarque Robert Jan van Pelt, à la différence d’un vêtement, « une chaussure porte toujours l’empreinte du corps » et la « présence de l’autre ». Cette chaussure rouge est particulièrement touchante en ce qu’elle suggère que son propriétaire imaginait une vie au-delà d’Auschwitz, une vie de bonheur, de fête et de danse.  

« Les objets personnels réunis dans l’exposition (brosses à cheveux, boutons et lunettes) donnent un aperçu de l’ampleur de la dévastation. L’impact le plus dévastateur de l’Holocauste est intérieur et profond » affirme Van Pelt.

L'exposition met également en contexte la Première Guerre mondiale, la République de Weimar, l’histoire de l’antisémitisme et la montée du nazisme. Pour Ferreiro, ces sections de l’exposition proposent des réponses à certaines des questions les plus fondamentales sur l’Holocauste. « Comment une des sociétés les plus technologiquement et scientifiquement avancées de son époque a-t-elle pu en venir au génocide ? Comment des voisons en sont-ils venus à trahir leurs voisins et devenir des complices silencieux de ce génocide ? »

« Si Auschwitz nous prend pour témoins, il nous invite également à se rassembler et à imaginer un futur différent. C’est l’essence même du travail d’un grand musée comme le ROM. »
Josh Basseches

Quatre

Josh Basseches, directeur général du ROM, ajoute « les nombreux objectifs de l’exposition, jumelés aux témoignages probants des survivants, mettent en lumière non seulement les horreurs de l’Holocauste, mais les systèmes, les gens et les croyances qui en sont responsables. Si Auschwitz nous prend pour témoins, il nous invite également à se rassembler et à imaginer un futur différent. C’est l’essence même du travail d’un grand musée comme le ROM. »

L’exposition pose un regard lucide sur l’ampleur vertigineuse des crimes. Van Pelt apporte des précisions dans l’essai qu’il a contribué au catalogue accompagnant l’exposition : « 1,3 million de personnes ont été déportées à Auschwitz et plus de 1,1 million y ont péri : 1 million de Juifs de la Hongrie, la Pologne, la France et une douzaine d’autres pays européens ; 75 000 Polonais non juifs ; 21 000 Roms ; 15 000 prisonniers de guerre soviétiques ; et quelque 15 000 personnes appartenant à d’autres catégories. »

L’exposition insiste sur la réalité physique d’Auschwitz. Fait primordial pour Van Pelt qui est professeur d’architecture. « D’entrée de jeu, nous nous employons à donner aux visiteurs un sentiment de lieu. Nous parlons de la ville. Nous parlons de la région. Nous situons la ville avant l’établissement des camps. »

cinq

Van Pelt est d’avis que réitérer la géographie d’Auschwitz permet aux visiteurs de visualiser l’architecture des camps et de « comprendre cette réalité chaotique ».

Une fois la géographie et le contexte historique bien établis, les visiteurs pénètrent dans les camps de concentration. Les artéfacts de grande taille, comme une colonne de béton et une section d’une caserne en bois, renforcent le sentiment de lieu, tandis que d’autres objets, comme une paire de bottes cavalières noires portées par les SS placée à hauteur d’œil d’un enfant, donnent un aperçu des victimes et de leurs bourreaux.

Une plaque de rue rouillée sur laquelle est écrit « Auschwitz Kreis Bielitz » (District d’Auschwitz Bielitz) confirme, selon Van Pelt, qu’Auschwitz était une « municipalité en soi ».

Parmi les autres artéfacts, mentionnons le grand bureau en bois ayant appartenu à Rudolph Höss, commandant d’Auschwitz et protagoniste de La Zone d’intérêt qui a remporté l’oscar du meilleur film en 2023. Un bureau plutôt quelconque si ce n’était des huit objets qui y sont posés, dont une photo d’Adolf Hitler et une de la famille du commandant. Du coup, comme le dit Ferreiro, le monde « à l’envers » de Höss prend tout son sens.

Ce bureau est celui d’un homme qui organisait ses papiers et s’employait à trouver une façon plus efficace d’anéantir un peuple entier. 

Six

Colin J. Fleming est stratège principal en communication créative au ROM.

Parrains

Mécènes de l'exposition: Colliers International Group ; Wendy & Elliott Eisen et leur famille ; FirstService Corporation ; Fogler, Rubinoff LLP ; Freeman Family ; Lillian & Norman Glowinsky et leur famille ; Ira Gluskin et Maxine Granovsky-Gluskin ; Goldman Sachs Canada Inc. Louis et Garry Greenbaum et leurs familles en mémoire de Morris et Helen Greenbaum z'l ; les familles Brown et Lindenberg ; Metropia ; Power Corporation du Canada ; les familles Rechtsman et Silver ; Rochelle Reichert et Henry Wolfond ; la Fondation Edward et Suzanne Rogers ; Shael Rosenbaum ; la Fondation Schulich ; la Fondation Gerald Schwartz et Heather Reisman ; Isadore et Rosalie Sharp ; la Fondation de la famille Larry et Judy Tanenbaum ; la Fondation Temerty ; Torys LLP ; la Fondation de la famille Jack Weinbaum ; Ted et Annette Wine et leur famille ; anonymes (2).

Partenaires communautaires: Andrea et Michael Barrack ; Judy Bronfman Bernick et Howard Bernick ; Sari et David Binder ; Rocco et Irene Pantalone, Penny Offman, Harry et Dora Kichler et Simon et Jan Zucker ; Paul et Tanya Braun ; Helen Burstyn ; CIBC ; Fondation de la famille Ricky et Peter Cohen, Fondation Moez et Marissa Kassam, Fondation de la famille Levy, Albert Sliwin et sa famille ; Myrna Daniels ; Kiki et Ian Delaney ; Susan, Perry, Taylor et Nicholas Dellelce ; Focus Wealth Management et Hazelview Investments ; George et Kitty Grossman ; Cory Hawtin ; Mark Hilson et Kathleen O'Keefe ; Fondation de la famille Pierre Lassonde ; Geoffrey S. Belsher ; Gregory S.Belton C.M.., C.V.O, LL.D ; Wayne Squibb ; Rosamond Ivey ; Pamela Pastoll Jacobson, Ian Jacobson et leurs familles ; Khrom Capital ; KingSett Capital ; Northbridge Capital Inc ; Andrew Pastor et Nicholas Telemaque ; RBC Fondation ; Heather Regent Family Charitable Foundation ; Jill Reitman et Joel Reitman, C.M. ; RioCan REIT ; Larry Reitman et Kathleen O'Keefe ; Fondation de la famille Pierre Lassonde ; Geoffrey S. Belsher ; Gregory S.Belton, C.M., C.V.O, LL.D.; RioCan REIT ; Larry Rosen & Susan Jackson ; Robert Rubinoff ; The Shen Family Charitable Foundation ; Ken Shi & Yvonne Lou ; Elsa Stringer et Shephen Stark ; Fran et Ed Sonshine ; TorQuest Partners ; The Venn-Mitchell Family ; Bunny Adler Vyner et Brian Vyner en l'honneur de Gabriella Adler, survivante d'Auschwitz, née en 1926 - ; Anonymes.

Cette exposition est généreusement soutenue par le Royal Exhibitions Circle.

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